L’ukulélé devient faux lorsque ses cordes sont par trop usagées.
Pourquoi ? Comment ?
Muni d’un endoscope, Antoine Carolus se penche de près sur ces questions pour ukulele.fr, et fort de son savoir mirandolesque nous livre des réponses scientifiques détaillées, illustrées de macrophotographies cosmiques exclusives dignes des plus belles œuvres musicalistes :
« Les nouveaux joueurs d’ukulélé demandent souvent aux plus aguerris à quel rythme leur faut-il changer les cordes, et ces derniers, souvent hésitants, ont bien du mal à leur répondre autre chose que « lorsque c’est nécessaire ». D’autres, moins laconiques, expliquent aux néophytes que le moment est venu quand leur instrument devient rétif à l’accordage, ou plus précisément lorsque ce dernier n’est pas constant selon que l’on joue à vide ou que l’on tient un accord en bas de manche. Que se passe-t-il exactement ?
(Photos : Antoine Carolus)
Sans entrer dans les arcanes de la mécanique pythagoricienne, une corde est un cylindre régulier vibrant. Plus la masse de la corde est importante, plus la fréquence de vibration est lente, et plus la note produite sonne grave à notre oreille. Ainsi, en pinçant une corde, on réduit la longueur (et donc la masse) vibrante, et l’on obtient un son plus aigu. Par exemple, en pinçant une corde à la moitié exacte du diapason (longueur vibrante de sillet à sillet), on diminue exactement de moitié la partie utile de la corde, et l’on produit une note à l’octave supérieure de la note dite « à vide ».
Mais à force de jeu, on use les cordes. Le nylon, le fluorocarbone et pis encore, le boyau de mouton ne sont pas des matériaux très résistants, et les coups d’ongles, d’une part, et la pression et le frottement exercés sur les barrettes, d’autre part, ne sont pas sans éroder le matériau. Le plus important ici, pour comprendre ce qui rend un uke monté de vieilles cordes difficile à accorder, c’est que cette usure n’est pas répartie également le long du diapason. Le cylindre régulier qu’était une corde neuve a été attaqué un petit peu à l’endroit de chacune des frettes et beaucoup dans la zone où l’on pratique le strum. Ainsi, si l’on pince la corde comme précédemment à l’exacte moitié en terme de longueur (à la 12e frette), en revanche, la barrette ne sépare plus la masse vibrante en deux parties égales. La note jouée n’est donc plus à l’octave de la note à vide, et l’ukulélé sonne faux, et ceci d’autant plus que les cordes seront également attaquées, qu’elles soient de gros ou de petit diamètre : les grosses cordes usées sonneront plus juste que les petites, et un accord en bas de manche sera cacophonique.
Voici quelques clichés d’une corde de La (chanterelle) en fin de vie. Il s’agit ici de « nylgut » : l’effet visuel serait moindre avec du fluorocarbone, il est grandement accentué avec du boyau véritable, qui s’effiloche de manière impressionnante (voir la dernière photo).
Sur l’avant-dernière photo (« usure par les frettes »), on distingue clairement trois zones d’usure par une même frette. En effet, plus la corde s’use et plus elle se désaccorde; on se retrouve donc contraint de détendre un peu celle-ci (moins de matière, donc fréquence à vide naturellement plus aiguë) pour rétablir la note. Ce faisant, on déplace légèrement le point de contact d’avec la frette, et la barrette attaquera désormais la corde un peu plus loin qu’auparavant.
Ainsi, lorsqu’un ukulélé justement accordé à vide sonne faux quand on plaque un accord en milieu de manche, ou encore que l’on sent beaucoup de relief sur les cordes en glissant le doigt (ou mieux, l’ongle) le long de celles-ci, c’est qu’il est temps de se fendre d’un nouveau jeu ! »
Antoine Carolus, mars 2011
(Photos : Antoine Carolus)
Commentaires sur le fil du forum consacré à ce sujet.
Un article proprement passionnant, qui confirme scientifiquement l’expérience que quand les cordes sont trop vieilles on joue faux ! De quoi tordre le cou à la légende urbaine qui voudrait qu’on ne changeasse jamais les cordes sur un ukulélé – en particulier quand l’on en joue.
Bertrand 🙂 A quand les cordes autoréparatrices ? Leur brevet dort certainement à côté des bas-qui-ne-filent-pas et de la lotion-à-faire-repousser-les-cheveux
Bertrand 🙂 A quand les cordes autoréparatrices ? Leur brevet dort certainement à côté des bas-qui-ne-filent-pas et de la lotion-à-faire-repousser-les-cheveux