Quand le 1er avril tombe un vendredi, c’est vraiment jour du poisson. Dans l’assiette, dans le dos. Pourquoi pas au creux des bras sous forme d’ukulélé ?
Les Madérois ont fabriqué des machettes à corps de poisson et les Tahitiens font parfois de même avec les ukulélés. Peuples de pêcheurs, ils en jouaient, en jouent toute l’année, sans attendre le jour officiel des Hilaries nationales (que nous attendons toujours nous aussi, puisqu’en dépit d’incessantes démarches entreprises auprès des pouvoirs publics depuis 1963, l’Association Française pour l’Étude et l’Expérimentation des Farces et Attrapes n’a jamais obtenu que l’État décrète le 1er avril jour férié et chômé).
Quelques traces sur la piste de l’ukulélé-poisson, espèce rare.
Entr’aperçu il y a quelques années au détour d’une exposition temporaire consacrée à la musique de Madère qu’organisait le joli petit musée du fado à Lisbonne, un machete dont le corps figurait un poisson – et que l’on pourrait dire pour faire savant, zoomorphe, ou plus précisément ichtyomorphe – nous était apparu comme une pièce unique, œuvre de quelque luthier farceur à propos duquel, ni le cartel, ni le catalogue, ni le planton, ni le commissaire que le planton était allé chercher n’avaient pu fournir le moindre renseignement.
L’instrument ne semblait figurer dans aucune nomenclature.
Depuis, sur un fil du forum, dans ce cas véritable fil à pêche, Philippe Gemgembre alias 8cordes a posté parmi ses innombrables trouvailles le dessin d’un machete similaire, minuscule crobard déniché au chapitre des luths, entre ceux de la balalaïka et de la bandura, sur la page 182 de l’encyclopédie illustrée Les Instruments de musique du monde entier, gros bouquin traduit de l’anglais et paru chez Albin Michel en 1978. La légende indique : « Le machete en forme de poisson est une guitare traditionnelle portugaise » et précise que l’instrument appartient à la collection du Horniman Museum de Londres.
Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Philippe a posté peu après une photo tirée du catalogue Exposiçao Internacional de Guitarras. Museu Calouste Gulbenkian. Galeria de Exposiçoes (23 mai au 8 juin 1983) montrant un autre modèle, donné pour une viola à quatre cordes originaire de Madère.
Et encore des clichés d’un rajão à 5 cordes et d’un autre machete pisciformes.
L’espèce est donc rare, souvent mal classée, mais elle existe et compte bel et bien plusieurs individus.
À noter encore qu’en langues ibères, machete désigne à la fois le petit instrument de musique, le grand coutelas de brousse que l’on écrit en français machette, et aussi un poisson appelé en anglais ladyfish, Pacific machete, et en français (?) Guinée machète.
Lequel fut le premier ? Qui, du poisson ou des instruments à musique et à trancher, de par sa forme inspira le nom des deux autres ?
Un peu plus loin dans le Pacifique, la morphologie de l’ukulélé polynésien actuel s’inspire beaucoup du poisson. Ses lignes, même très stylisées, dessinent nettement une nageoire dorsale sur la partie supérieure du corps de l’instrument et souvent une queue lui tient lieu de tête (sans parler des fils à pêche utilisés pour les cordes).
Un chasseur anglais d’ukulélés a même harponné sur la Bay un modèle à figure de raie manta, fata piti. Rien d’étonnant dans cet océan où les îles elles-mêmes sont des poissons, que selon la mythologie, le demi-dieu Maui ramena à la surface. Il suffit aux dessinateurs d’ajouter quelques traits à la carte de Tahiti et sa presqu’île pour la transformer en ukulélé-tétrodon (voir ci-dessous)
Le 1er avril devrait célébrer Maui (Hawaiian Superman chantait IZ), qui, à la pointe de ses hameçons tira du fond de l’océan les poissons, les îles et les ukulélés en forme de poisson.
CL
(Kamapua’a et son ukulélé-poisson)