En attendant la remise des figurines le 26 février prochain, les « nominés » aux Oscars se démènent. La production de The Descendants a ainsi fait parvenir aux membres du jury, à la presse spécialisée et à quelques personnes d’influence (sur le jury) un kit promo contenant un ukulélé orné d’hibiscus et marqué au titre de l’œuvre.
D’ores et déjà collector, l’objet, tout juste digne des supermarchés de souvenirs de Waikiki, est chargé de symboliser à lui seul Hawaii, lieu de tournage de ce film dans lequel le séduisant George Clooney tient le rôle d’un mec sympa dont la vie, après un drame familial devient un « enfer au paradis », dixit la bande-annonce…
La photographie tient à la fois du spot publicitaire Hawaiian Airlines, du reportage Lonely Planet et du docu pseudo-historique, puisque l’intrigue vaudevillesque de cocufiage réussit à se raccrocher aux légendaires histoires de naufragés, captifs ou déserteurs qui devinrent rois d’une tribu de sauvages sur une lointaine île du Pacifique – comme ce fut réellement le cas à Hawaii du marin anglais John Young, prisonnier de Kamehameha 1er promu conseiller personnel, fait prince-gouverneur de Big Island, nanti de domaines, marié à des princesses de haut rang et dont la descendance accéda au trône avec Queen Emma, une lignée ne s’éteignant qu’à la mort prématurée du jeune Prince Albert futur Kamehameha V.
D‘ailleurs, le réalisateur se régale à accumuler les clichés et King-Clooney arbore ainsi une collection complète de chemises aloha Reyn Spooner Classics, appelées, qui sait ? à devenir aussi légendaires que la Shaheen « Tiare Tapa » du King-Elvis ou la Paradise Found « Jungle Bird » rouge de Magnum-Selleck.
Alexander Payne n’a pas dû obtenir que l’acteur se trimballe un ukulélé tout au long du film, alors la bande son, entièrement puisée dans soixante-dix ans de discographie hawaiienne se charge à merveille de le suggérer. Au point que les journalistes, abusés par les huit mesures d’intro du trailer et la réception de l’ukulélé-promo au courrier, entendent le petit instrument de manière omniprésente : « The Descendants : mort, chemises, Hawaï et ukulélé » titre Bakshish, « Dernière touche exquise, la bande originale, faite de… mélodies plaintives accompagnées au ukulélé » conclut Le Monde, «… l’abondance de ukulélé en toile sonore agace à la longue » remarque 7 sur 7, « Trop de ukulélé tue le ukulélé… » estime le mag Rolling Stone, etc.
Pourtant, le joueur d’ukulélé lui, se rendra compte assez vite qu’on n’entend guère d’ukulélé pendant le film ! Plutôt de la guitare slack key, soit en accompagnement de chansons, soit en solo instrumental. Cette guitare slack key, depuis une quinzaine d’années devenue sur place la bande son du Hawaii touristique : elle poursuit le visiteur où qu’il aille, dès l’avion, puis à l’aéroport, dans le taxi, à l’hôtel, au bar, au restaurant, pendant la démonstration de hula au Bishop Museum aussi bien qu’à la soirée du resort, dans le magasin de memorabilia, dans la rue… de jour comme de nuit, elle ne le ne lâche jamais. En cela, le choix se révèle parfait. On s’y croirait vraiment. Ne manque que l’odeur de graillon exotique, son implacable accompagnement olfactif. Si, reprenant l’idée des pulvérisations de parfums que pratiquait en 1890 Paul Fort en son Théâtre moderne, les salles de cinéma diffusaient pendant la projection des effluves de loco moco, le plate lunch où s’amoncellent saucisse portugaise grillée, spam poêlé, riz sauce kimchi coréenne, maracaroni mayonnaise… alors l’illusion serait parfaite.
Soulignons tout de même que les locals d’Hawaii ne rougissent pas de cette musique, bien au contraire, même si le tourisme se l’est accaparée et qu’entre eux, sur les plages et dans les bidonvilles des homelands, ils jouent plus souvent le reggae jawaiian ou autres styles funky.
Et puis, la bande son de The Descendants offre une sélection idéale, la meilleure anthologie qui soit, réunissant les légendes du genre : artistes actuels ou récents – Makaha Sons, Ozzie Kotani, Daniel Ho, Keola Beamer, Rev. Dennis Kamakahi… – et de la génération précédente – Gabby Pahinui, Ray Kane, Sonny Chillingworth – avec en bonus tracks Lena Machado, la « Hawaiian songbird » des années 1940-1950 et Sol Hoopii, viruose de la steel guitar des années 1930.
Pour beaucoup d’Occidentaux, ce trésor musical reste à découvrir, même aux States où les Grammy Awards ont systématiquement et un peu arbitrairement récompensé le seul slack key pendant les quelques années d’institution d’une catégorie Hawaii aujourd’hui supprimée.
À découvrir encore plus en France, comme le montre cette confusion actuelle entre guitare slack key et ukulélé qui nous renvoie à 1920, quand on mélangeait ukulélé et steel guitar nouvellement arrivés. Depuis, les artistes hawaiiens ne sont venus ici que trop rarement. Cyril Pahinui et Led Kaapana au Printemps de Bourges et à Créteil en 1995, Led de nouveau l’année suivante à Lille avec les Ho’opi’i Brothers (aux ukulélés), Keola Beamer le temps d’un show case au Womex de Marseille en 1997, une anthologie Hawaiian Slack Key Guitar Masters parue chez Bluetone en 1998 avec notes de pochette en français, puis plus rien ni personne jusqu’en 2006 quand le trio Na Palapalai et Jeff Au Hoy à la steel jouèrent à Paris Quartier d’Été.
Les ventes de CD d’IZ en France l’année passée n’ont incité aucun label à presser d’autres disques d’artistes d’Honolulu, n’ont décidé aucun promoteur à les inviter.
Mais le cinéma possède un beaucoup plus grand pouvoir de promotion. Alors, souhaitons à The Descendants un vaste succès populaire qui permettra de mieux faire connaître cette merveilleuse musique hawaiienne, et à George Clooney un Oscar, qu’il viendra recevoir sur la scène du Kodak Theatre de Los Angeles l’ukulélé à la main.
Les Frenchies Fans ont mis en ligne une petite vidéo dans laquelle on le voit s’y préparer.
C L
Supermarché: Ah oui, on voit bien que les cordes ne sont pas dans l’alignement du manche.
Il ne doit pas être jouable le ukulélé.
Supermarché: Ah oui, on voit bien que les cordes ne sont pas dans l’alignement du manche.
Il ne doit pas être jouable le ukulélé.